Elle avait traversé le bar, avait jeté un regard circulaire dans la salle, il n’y était pas, peut-être avait-il prévu d’aller dîner en ville, lui. Après tout, que cela pouvait-il lui faire. Elle revint vers le bar et s’installa dans un fauteuil, un serveur était arrivé rapidement.
- Madame désire ?
- Un martini blanc avec deux glaçons, s’il vous plaît, chambre vingt et un.
Quelques instants plus tard, il lui apportait sa boisson avec quelques amuse-gueule chauds accompagnés d’olives aux anchois. Cela faisait plus d’une demi-heure qu’elle était là comme une collégienne à attendre, elle scrutait la porte d’entrée, mais à cette heure-là, il avait dû aller manger en ville, « enfin Sonia, secoue-toi, ce n’est pas la première fois qu’un homme te fait du rentre-dedans… » Elle alla s’asseoir de façon à pouvoir contempler le soleil couchant, tout en ayant un œil sur la salle. Le serveur lui avait apporté le menu, elle avait opté pour un repas frugal : gratin d’asperges et de courgettes, une tranche de congre et une salade de fruits, ainsi elle pourrait se coucher de bonne heure.
Le gratin venait à peine d’arriver quand Christophe pénétra dans la salle, il cherchait des yeux une table vide, ou peut-être la cherchait-il ? Elle ne put se retenir, lui fit signe, et l’invita à la rejoindre. « Mon Dieu que je suis bête, c’est le comble, c’est moi qui l’interpelle », se sermonna-t-elle.
- Je vous remercie de me permettre de partager votre table, j’ai horreur de manger seul, hélas la vie a fait que plus souvent qu’à mon tour…
Le serveur s’approcha.
- Pour Monsieur ce sera ?
- La même chose que Madame, rouge blanc, rosé avait-il demandé à Sonia.
- Rosé de préférence, mais que cela ne vous empêche pas de prendre ce que vous voulez.
- J’aurai mauvaise grâce de ne pas satisfaire les désirs d’une dame qui m’accorde l’honneur de partager sa table, rosé, frais, s’il vous plaît.
Ils s’étaient brièvement présentés l’un l’autre, elle avait donc appris qu’il n’avait rien d’un Italien, encore moins d’un Grec et qu’il était né à Vierzon, qu’il avait découvert le théâtre enfant et qu’il espérait un jour percer sur les planches. Sonia se laissait bercer par cette voix à la fois grave et rassurante, elle n’écoutait plus ce qu’il lui disait, elle était ailleurs, dans un rêve… dans un rêve où elle le touchait, où elle le caressait, un frisson la secoua.
- Vous avez froid ? Vous êtes peut-être fatiguée de ce long voyage, je suis un incorrigible parleur, vous voulez aller vous reposer, lui demanda-t-il ?
- Non, ce n’est rien, continuez, votre parcours est très intéressant…
- Désirez-vous que nous allions prendre un café en bordure de mer, le bruit des vagues bercera nos âmes solitaires qui s’envoleront vers l’astre des amoureux.
- Je vais chercher une veste, mais je vous préviens je ne connais pas du tout la ville, c’est donc vous qui guiderez.
- Je prends donc la responsabilité d’une apothéose ou d’un désastre, avait-il dit avec emphase.
Elle avait souri encore une fois comme elle l’avait tant fait ce soir, il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas laissé aller comme ça, sans raison et surtout d’en ressentir un tel plaisir. Ils avaient pris la voiture de Sonia, elle avait insisté pour qu’il conduise, qu’est-ce qui lui avait pris, elle qui était si jalouse de son véhicule, elle ne se reconnaissait plus. Ils avaient marché longtemps le long de la plage, elle avait quitté ses chaussures et laissé l’écume lécher ses pieds, sa voix la grisait, la transportait, si seulement il lui prenait la main, elle ne refuserait pas, au contraire, elle se blottirait contre lui. Elle frissonna de nouveau, il quitta sa veste et la lui mit sur les épaules, elle murmura :
- Merci, on rentre, s’il vous plaît.
- Et notre café ?
- Une autre fois, si cela ne vous fait rien.
- Comment pourrait-on refuser quoi que ce soit à de si jolis yeux, avait-il murmuré à son tour. Puis plus haut : Le preux chevalier pourfendra le froid et les ténèbres pour sauver la belle princesse et l’emmener dans un pays où le soleil brillera et où la nature sera luxuriante.
- Bravo, avait-elle dit, en applaudissant comme une enfant.
Sonia, la cinquantaine, grande, mince, cheveux châtains, toujours habillée avec goût, promène sa nostalgie depuis plus de trois ans. Son mari, un homme respecté dans leur ville et médecin de surcroît, n’arrive pas à lui faire reprendre le dessus.
Christophe Malvaroit, artiste et courtisan à ses heures, changera sa manière de voir les choses, il lui fera découvrir une autre forme d’amour.
Ils n’ont que dix jours pour se connaître et s’aimer.