Il se décida début octobre. Le soleil doux  de cette fin d’après-midi maintenait une chaleur agréable, les arbres s’étaient parés de mille couleurs, mais refusaient de laisser tomber leur feuillage multicolore. Certains chênes, obstinément, s’étaient résolus à conserver leur couleur verte, bien que parfois, quelques feuilles rousses fissent une timide apparition. Un léger souffle d’air faisait onduler paresseusement les feuilles, comme s’il avait peur de détruire ce magnifique tableau que lui offrait la nature. Les oiseaux entonnaient des chants mélodieux, chacun d’eux voulant célébrer à sa manière, ce que les hommes appellent « l’été indien » ou une arrière belle saison. Pinsons, rouges-gorges, moineaux, mésanges, bergeronnettes, fauvettes ou bouvreuils rivalisaient de vocalises, d’airs harmonieux, se répondant comme pour savoir, qui d’eux tous, arriverait à charmer cette belle journée, afin qu’elle revînt le lendemain.

          Bertrand arriva en vue de la propriété de Louise, qu’il avait tant de fois traversée lorsqu’il faisait les cinq kilomètres pour se rendre en ville ou en revenir. Jusqu'à présent, il n’avait pas porté une attention particulière sur ces champs qui bordaient la route à la sortie de la cité. Aujourd’hui, il les regardait d’un œil différent, lequel était susceptible de leur plaire et surtout lequel, éventuellement, leur vendrait-elle ? Peut-être une des granges ? La propriété, bien que sur le haut de la colline, ne surplombait pas la ville, elle était tournée vers la campagne environnante. Le corps de ferme et deux des trois granges étaient desservis par un chemin communal goudronné. La plus éloignée, était construite en pierre de grès, sur une parcelle étroite. Ouverte sur le devant, elle laissait voir un antique four à pain entre un vieux tracteur ayant rendu l’âme, et les restes d’un char à bœufs. A droite, un tas de bois et de planches attendaient patiemment, depuis des décennies que la propriétaire des lieux voulût bien s’occuper de leur sort. Entre les deux, c’était un fouillis de vieux socs de charrues, de sacs, de caisses, de bidons, que la poussière et les toiles d’araignées avaient fini par recouvrir. A gauche, un escalier, toujours en grès, permettait de relier la petite pièce sous le toit de la grange à la cour du corps de ferme. Vu l’usure des marches, elle avait dû servir en son temps, de chambre pour quelque domestique. A l’arrière, le mur sans ouverture, prolongeait le rocher qui le soutenait, donnant ainsi à la bâtisse, pour ceux qui avaient un peu d’imagination, un petit air de château surplombant les verts pâturages en contrebas. La première grange, également en grès, était à demi enterrée. En partie basse, dans le mur côté pré, une ouverture fermée par un portail à claire-voie, aujourd’hui hors d’usage, permettait en son temps de rentrer la nuit, les brebis et les agneaux. Le haut par lequel on accédait avec une légère pente  et par un grand portail en forme d’ogive, contenait encore un vieux foin rentré dix ans auparavant. La troisième avait été construite avec les moyens du bord. Le soubassement, était en pierre de calcaire pour une  partie, et en moellon pour une autre, enfin, pour la portion non enterrée, en brique creuse. Le toit avait déjà fléchi en son milieu et de nombreux poteaux avaient été sollicités pour éviter qu’il tombât définitivement, sur le foin et la paille entassés là depuis bien des années. L’étable, dans la partie inférieure du bâtiment, était séparée en deux. L’une, comportant encore quelques vestiges assez récents, était ouverte sur les prés par une porte rectangulaire. L’autre, aujourd’hui vide, révélait par ses vieux râteliers, que quelques décennies plus tôt, la maison avait été prospère.


  

Un gros ballot de foin sur l’épaule, Louise remontait son champ d’un pas hésitant. Après l’avoir déposé dans la grange, elle s’était assise sur le bord de l’abreuvoir, elle avait le temps, personne ne l’attendait. A quoi pensait-elle ? A sa jeunesse, à l’opéra, à la grande musique, aux livres qu’elle avait entassés dans sa chambre… ou aux bêtes qu’elle avait élevées, et aux durs travaux de la ferme qu’elle avait faits, seule.

Bertrand apprendra au fil de leurs conversations, cette vie de paysanne, commencée à Maurs dans son Cantal natal et qui s’achèvera à Figeac, mais aussi, cette vie de dame, de parisienne, qu’elle aurait pu avoir, et qu’elle a décidé un jour de quitter. L’appel de la terre et de la famille a été le plus fort. Il faut qu’elle lui fasse partager son savoir, son amour de la terre, mais aussi celui de la peinture, de la lecture, de la musique.

Elle doit le faire avant qu’un jour elle ne s’en aille discrètement, chez elle, au petit matin. Mais avant, elle a encore beaucoup de choses à lui apprendre …