Paul, après une naissance agitée, lors d’un tremblement de terre, va acheter son premier moulin à vent à l’âge de 17 ans, c’était le premier d’une longue lignée. Il deviendra, à force de labeur, un homme important. Sa rencontre avec Yvonne, l’amour de sa vie, le pousse à créer, diriger et faire prospérer plusieurs entreprises. Malgré les épreuves que traverse la France : la guerre de 14-18, la crise économique de 29, le conflit de 39-45, fortune faite, il reste proche de ses salariés et des hommes en général.

A sa mort, ses enfants, Joseph et Jeanne, vont se partager cet empire qu’ils doivent faire vivre en mémoire de leur père. Les minoteries artisanales et les usines disparaissent au profit des grands groupes industriels, la bataille est rude. Les nouveaux loups de la finance arrivent, ils achètent et revendent sans scrupules. Leurs offres sont toujours alléchantes. Les petits-enfants de Paul arriveront-ils, à la fois, à sauvegarder l’idéal de leur grand-père et à tirer leur épingle du jeu … ou devront-ils subir les règles des grands ?   

À six heures, ce ne fut pas l’enfant qui donna du souci à tout ce monde, mais la maison. Le sol se mit à trembler légèrement, la lampe à pétrole suspendue au milieu de la pièce  vacilla, les deux verres laissés par les hommes bougèrent sur la table. Honorine cherchait du regard un soutien des trois femmes. Les secousses se firent de plus en plus violentes, un des verres se brisa en tombant. Marcel ouvrit la porte comme un fou et se précipita au chevet de sa femme. Il lui saisit la main et l’embrassa longuement comme pour lui dire : » je suis là, rien n’arrivera. » Pendant les vingt secondes que dura le tremblement de terre, le bébé n’avait pas bougé, comme s’il savait que ce n’était pas le moment d’infliger à sa mère une souffrance supplémentaire. Vingt secondes, c’est long quand tout bouge autour de vous, que des morceaux de torchis se décollent et tombent sur votre couche, que vous sentez ces vibrations vous parcourir. Honorine ne pensait qu’à l’enfant, elle avait bien essayé de se lever, mais Madeleine lui avait fait signe de ne pas bouger.

- Ce n’est rien ma belle, un petit caprice de la nature, ça va s’arrêter dans quelques secondes.

- Que Dieu vous entende, avait-elle répondu, sans trop y croire.

- Dieu … il a autre chose à faire que de penser à nous, avait murmuré Marcel. Il était comme beaucoup d’hommes de la région, il faisait ses Pâques, Noël et les enterrements, le reste lui paraissait superflu, il ne comptait jamais sur l’aide céleste, il mettait en pratique le proverbe : « aide-toi, le ciel t’aidera. » Le reste, ce n’était que des singeries de bigotes. Il se hissa et se mit en travers du corps de son épouse, écartant les bras,  afin de la protéger, elle et son enfant, des éventuelles chutes de matériaux qui ne manqueraient pas de tomber si cela continuait encore.

Lorsque le calme revint, ce fut le bébé qui prit la relève et manifesta le désir de connaître ce monde où il semblait être si mal accueilli.

- Marcel, laisse-nous travailler maintenant, le petit présente déjà la tête, allez dehors ! avait dit  Madeleine.

Marcel avait obéi, laissant les deux femmes seules, à préparer le linge et l’eau chaude pour nettoyer la mère et le bébé, pendant que Madeleine aidait de son mieux Honorine.

- Allez, pousse ma belle, pousse, la tête est engagée, il a l’air d’être bien portant ton bébé.

A la contraction suivante, Honorine réunit toutes ses forces et se mit à pousser avec une  rage dont elle ne se croyait pas capable. On aurait dit que les secousses précédant l’accouchement lui avaient fait prendre conscience qu’ils auraient pu mourir tous les deux. Pourtant cet enfant, elle le désirait plus que tout, c’était l’aboutissement de l’amour qu’ils se portaient l’un à l’autre. La nature avait été longue à se décider à leur accorder ce bonheur, elle avait craint d’être un ventre stérile comme sa cousine qui se désolait de n’avoir pas  eu d'enfant.